De l’ambivalence du couvre-chef

Petite fille, vous l’imaginerez capeline… Petit garçon, vous le rêverez cow-boy… Dandy ou mondain, vous le porterez tantôt trilby tantôt melon… Elégante et bohême, vous l’arborerez cloche ou canotier !

Le chapeau, voilà l’accessoire dont toutes les déclinaisons sont des promesses… C’est l’élément vestimentaire qui force l’imaginaire, il habille une tête autant qu’il dévoile une personnalité ; il fut longtemps marqueur social, aujourd’hui, il person-na-lise. Il attire l’attention sur son porteur comme il en cache la timidité ou les complexes ; pour celui qui s’en accommode, le chapeau est subterfuge… il semble nous dire « regardez-moi mais laissez-moi tranquille »… Le chapeau, accessoire mi-désuet mi-fashion, navigue toujours entre 2 mondes, une ambivalence de l’objet, cultivée par le Studio Grimel…

Nous avons rencontré Laurence, artisane du couvre-chef. La chapelière nous reçoit tête nue et, même si masquée, ne cache pas son grand sourire derrière les rebords larges d’un panama ! Dans cet atelier d’une rue résidentielle clissonnaise, nous découvrons ce qui se cache en-dessous du chapeau, les coulisses d’un savoir-faire unique et peu connu. Les gestes et les outils sont anciens et traditionnels mais la créativité et le style sont bien dans l’air du temps… Un juste équilibre que le Studio Grimel s’efforce de trouver et qu’il puise peut-être dans la symbolique de son animal totem, le griffon. Car rappelons que l’animal mythologique, à moitié aigle à moitié lion, représente à la fois la force terrestre du félin et l’énergie céleste du rapace… L’artisane, qui se plaît à lire dans les signes, s’est appropriée ce symbole duel. Elle nous raconte alors, en préambule, que le chapeau, qui coiffe notre tête parfois avec panache, toujours avec style, est l’accessoire qui relie son porteur de la terre jusqu’au ciel… Arrimé à la tête, le couvre-chef serait le petit rien avant le grand tout !

Quoi qu’il en soit, pour atteindre le ciel et les étoiles, la route est longue et le chemin sinueux ! Laurence est d’abord modéliste, en Bretagne, et travaille donc à la conception de vêtements. Si, comme elle le dit, elle « a croisé le chapeau plusieurs fois » auparavant, ce n’est qu’en 2005-2006, alors qu’elle se trouve à Paris, qu’elle lance une première marque, KILIN, et se spécialise dans la confection de casquettes. Pendant 7 ans, elle « coupe et coud » uniquement. Puis, en 2014, elle décide d’étendre son savoir-faire aux autres techniques « d’habillement de la tête » et passe alors, en cours du soir, le CAP « mode et chapellerie ». En 2017, la jeune modiste s’installe dans le Vignoble nantais. C’est un choix clairement professionnel car la région est connue comme un bassin industriel textile majeur. Au printemps 2020, le Studio Grimel trouve refuge à Clisson et c’est là aujourd’hui que prennent forme et vie des couvre-chefs de toute nature.

Laurence est gardienne d’un savoir-faire : pénétrer son atelier c’est s’égarer dans les pages d’un catalogue de mode des années 20. Une multitude de tissus, des plumes, des rubans, des moules, en bois ou en fonte, des feutres, des gigolos… et des machines d’un autre temps ! Ces machines, chinées ou bricolées, il a fallu les apprivoiser, les dompter, les maîtriser à force d’essais et d’échecs. Il en est ainsi de la machine à vapeur, inventée dans un ancien barbecue ou de la presse à pédales à gaz récupérée chez un vieux confrère : machines ô combien rares et précieuses car c’est grâce à elles que le cône ou la capeline de feutre deviennent haut de forme ou chapeau melon. Une fois « ramolli » par la vapeur, la matière devient malléable : on place alors le feutre humide sur le moule du chapeau souhaité et l’on presse pour que le tissu prenne la forme attendue. La collection des moules en fonte est ici quasi muséale…

Il y a encore cette machine à paille cousue, la petite bleue… qui pour le néophyte ressemble évidemment à une machine à coudre. C’est grâce à elle et au geste assuré de la modiste qu’apparaissent, miraculeusement issus d’un ruban, les chapeaux de paille et autres canotiers. « Couseuse de paille » était autrefois un métier en soi, et il fallait, en effet, la maîtrise d’une spécialiste pour réussir le rontonchon… la partie centrale du chapeau, la plus difficile à réaliser ! Pour les casquettes, point de machine complexe mais des doigts de fée ! La méthode du coupé-cousu est un assemblage de tissus, propice, de nos jours, à l’up-cycling. Un vieux jean auquel on tient ? On lui redonne une seconde vie et on le sublime en gapette ou béret !

Laurence a parfait le métier en autodidacte donc et par l’expérimentation. Elle se fait modiste pour la réalisation de chapeaux sur-mesure. Elle apprécie grandement ce rapport à l’autre, qui l’oblige à répondre au mieux aux besoins et aux attentes de la clientèle. La confection d’un chapeau personnalisé c’est une expérience à offrir au-delà de l’objet… Concevoir et faire ensemble cet accessoire aident à travailler le regard que l’on porte sur soi-même et à accepter le regard que les autres portent sur nous…

Elle se fait aussi chapelière pour la réalisation de petites collections, des éditions limitées, une quinzaine de chapeaux produits « en série » mais numérotés… C’est le grand projet de 2020-2021 : réussir à proposer une capsule par semaine. Créer, imaginer, se réinventer 52 fois dans l’année, sacré challenge !

Mi-lion, mi-aigle, Laurence, alias Studio Grimel, un peu modiste un peu chapelière, griffonne, la tête dans les esquisses de la création et fabrique, les mains dans le feutre de la confection. Le chapeau… Il coiffe, il habille, il complète, il réchauffe, il protège, il cache, il transcende, il interpelle… Il fera un peu tout cela certes mais sur votre tête, il sera unique et deviendra certainement ce que la créatrice a joliment nommé votre signature visuelle. Alors, chapeautez-vous !

STUDIO GRIMEL 9, avenue du Pont du Diable 44190 CLISSON laurence@studiogrimel.com / 06.25.76.44.56

Rédaction : Isabelle Hallereau – Photographie : Delphine Saliou – Graphisme : Valérie Lefort.